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Patrimoine 20/04/2021

Poisson d'avril !

Récemment la Cour d'appel de Nantes semble avoir réservé une bien mauvaise surprise à des contribuables qui avaient entendu, pour la détermination de leurs revenus fonciers, tenir compte des intérêts d'emprunt afférents à l'acquisition d'une chambre d'hôtel qui devait être donnée en location à un exploitant hôtelier. 

Comme cela survient fréquemment, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu et l'une des entreprises en charge des travaux nécessaires pour rendre possible l'exploitation a fait faillite ! La chambre n'a pu être louée dans les délais prévus et le contribuable, s'il a pu s'inquiéter du retard pris par les travaux, ne s'est pas soucié des conséquences fiscales collatérales dont, il est vrai, il n'était pas évident de prendre garde. 

L'administration puis les juges, n'ont pas manqué de rappeler quant à eux une règle que la plupart d'entre vous ignore probablement et qui résulte de l'article 15 du code général des impôts : les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu.

Vous comprenez bien : par principe les revenus en nature procurés par les biens immobiliers dont vous êtes propriétaire et dont vous vous réservez la jouissance sont imposables ! Mais dans sa grande mansuétude le législateur a concédé que s'agissant des logements et de leurs dépendances immédiates le contribuable serait exonéré. C'est pourquoi vous pouvez habiter chez vous sans payer d'impôt sur le revenu. On imagine le succès de tel ou tel député qui proposerait l'abrogation de ce texte et pourtant le serpent de mer fait surface de temps à autres. Je pense aussi à ceux d'entre vous, propriétaires de biens immobiliers, bâtis ou non et autres que des logements qui en ont conservé la jouissance : pensez-vous à déclarer le revenu en nature dont vous profitez ?

La contre partie de cette imposition est la possibilité de déduire certaines charges au nombre desquelles figurent les intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition ou la conservation du revenu. 

L'administration et le juge ont donc l'occasion de temps à autres de rappeler cette règle méconnue soit pour mettre un terme à certaines stratégies mises en œuvre par des contribuables désireux de déduire (discrètement) les charges afférentes à des propriétés dont en fait ils se réservent la jouissance, soit d'empêcher un investisseur d'amasser des déficits fonciers lorsque la mise en location tarde à devenir une réalité. Dans cette seconde hypothèse en principe, l'intention (qui doit être prouvée) de se procurer des revenus permet de contourner la question de l'annualité de l'impôt. En effet, l'obtention de certaines autorisations ou l'exécution de travaux peuvent conduire à ce qu'au titre d'une année, des charges soient engagées alors qu'aucun revenu n'est perçu, générant ainsi un déficit foncier. Il n'est pas anormal dans ces conditions de constater un déficit au sens fiscal qui s'imputera soit sur les revenus d'autres biens soit, ultérieurement, le cas échéant, sur les futurs revenus fonciers. Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, il est toutefois nécessaire dans ce cas d'établir la réalité de l'intention d'affecter à la location le bien en question.

Dans ce cadre, la décision de la cour d'appel de Nantes apparait pour le moins surprenante au regard des informations disponibles relatives aux faits de l'affaire. En effet, le contribuable a acquis une « chambre d'hôtel » en vue de sa location a un exploitant. Le règlement de copropriété stipulant expressément que « la destination du bâtiment est à usage d'exploitation touristique sans possibilité pour un acquéreur d'en jouir à titre personnel ».

Petite péripétie, le budget consacré aux travaux a été quasiment intégralement versé en amont à l'entreprise en charge des travaux … qui a fait faillite quatre ans après l'acquisition de la fameuse chambre et sans avoir achevé sa mission. Payer une autre entreprise nécessite de fait un budget supplémentaire.

Et, bien que les investisseurs aient entrepris les démarches nécessaires pour se sortir de ce mauvais pas, la cour décide que les contribuables « ne justifient pas avoir accompli des diligences suffisantes pour offrir leur bien à la location. Ainsi, ils doivent être regardés comme s'étant réservé au cours des années d'imposition contestées la jouissance de leur bien au regard des dispositions du II de l'article 15 du code général des impôts ».

Cette motivation laisse songeur et cet arrêt étant daté du 1er avril on ne peut, s'il ne s'agissait d'un second degré de juridiction, s'empêcher de penser au poisson du même nom.

En effet, faut-il le rappeler, le principe est celui de l'imposition des revenus y compris en nature des biens immobiliers et que l'exonération prévue à l'article 15 du CGI est l'exception. Comme toute exonération celle-ci doit s'entendre de manière restrictive. Dès lors, un investissement (de mauvaise qualité certes) dans une chambre d'hôtel manifestement destiné à être louée entre-t-il réellement dans les prévisions de l'exonération ? Il devrait être permis d'en douter. De même, considérer que la chambre d'hôtel fait partie des « logements » visés par l'exonération parait alambiqué.

Enfin, écarter les dispositions du règlement de copropriété qui interdisent l'usage à titre personnel de la chambre pour considérer que du point de vue de la loi fiscale le propriétaire s'en réserve la jouissance, interpelle.

Il ne nous a pas été permis de prendre connaissance des conclusions du rapporteur public certainement très instructives. Aussi, dans l'attente, nous nous interrogeons sur les motivations des juges qui ajoutent au calvaire de ces contribuables, investisseurs mal avertis, la sanction fiscale quitte à s'écarter de l'intention du législateur. Il ne faudrait quand même pas que l'Etat fasse lui aussi une mauvaise affaire semble-t-il ! A moins que ce ne soit les délais (presque dix ans) vraiment trop long qui soient en cause.

Ce poisson d'avril nous incite à plaider à nouveau l'adoption d'un article 0 à notre code général des impôts : « En application du principe de consentement à l'impôt, la loi fiscale doit être interprétée, appliquée et jugée dans l'intérêt du contribuable ». La société de confiance chère à notre Ministre de l'Economie et des finances y gagnerait plus qu'avec toute autre mesure.




Jérôme Chigard
Directeur de l'Ingénierie Patrimoniale
Rédigé le 20 avril 2021