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Point marchés 09/04/2021

Une page se tourne. Et quelle page !

Voilà, avec la Présidence Biden, la page du « consensus de Washington » se tourne, sans doute définitivement. Cette doctrine, qui fut un temps la doxa du FMI (d'où son nom) a vu le jour au début des années 90. Elle était le fruit de l'héritage libéral, cher à Reagan et Thatcher, et de la mondialisation, conséquence de la chute du mur de Berlin. Le néo-libéralisme - autre nom consensus de Washington - prônait l'ouverture des frontières et la prééminence des marchés au détriment de la régulation étatique. La politique monétaire devenait l'outil essentiel de régulation macro-économique, tandis que la politique budgétaire, reléguée au second plan, se voyait assigner comme objectif principal, l'équilibre des finances sur fonds de baisses d'impôts. Cette période a vu également la montée en puissance d'organismes transnationaux, comme l'Union Européenne, l'OMC ou le FMI, sans parler de l'essor des multinationales de statut mondial, comme Apple, Samsung ou LVMH pour n'en citer que quelques-unes. 
Cette politique a eu de beaux succès. Elle a notamment mis fin à la stagflation des années 70 qui minait les économies occidentales. Elle a permis également l'intégration réussie des pays de l'Est et de la Chine dans l'économie mondiale, ce qui n'est pas un mince exploit, compte tenu de leur point de départ. Elle a également largement profité aux détenteurs de capital, financier ou immobilier, grâce à la hausse des cours de bourse ou du prix des logements dans les zones urbanisées. En revanche, elle a nettement moins bien servi les intérêts de la classe moyenne salariée des pays développés. La stagnation du salaire médian réel dans les pays de l'OCDE sur les 30 dernières années est aujourd'hui largement documentée et reconnue. De même, les travaux d'économistes ont mis en lumière l'effet négatif de la concurrence chinoise sur l'emploi de certaines régions industrielles des États-Unis. Ces développements ne sont pas étrangers à la vague de protestations dites « populistes »  qui sont à l'origine des gilets jaunes ou du Brexit. C'est d'ailleurs le Président Trump, qui a commencé à tourner cette page, en faisant du protectionnisme son cheval de bataille et en mettant en scène l'abandon du multilatéralisme avec son slogan « America First ». 
On pourrait pousser le paradoxe en disant que Biden s'inscrit davantage dans les pas de Trump que dans ceux d'Obama ! En effet, la politique économique de ce dernier ne s'est pas vraiment démarquée de celle de ses prédécesseurs, à l'exception de l'Affordable Care Act (« Obamacare ») qui a été une victoire à la Pyrrhus, ruinant le capital politique dont il disposait. Biden, lui, a rompu avec ses prédécesseurs démocrates en mettant fin au tabou de l'équilibre budgétaire. Le Président actuel est celui qui nous familiarise avec les « trillions », c'est à dire les milliers de milliards (douze zéros !) de dollars, comme ce plan de 1.7 trillions de dollars, soit 9% du  PIB US. Certains économistes ont critiqué ce plan, en soulignant qu'il était mal calibré, donnant trop d'argent à des ménages qui n'en ont pas besoin. Cette critique est sans doute fondée, mais la question n'est pas là. Comme le dit l'éditorialiste du New York Times Ezra Klein, « la frustration constante d'Obama était que les politiciens ne comprenaient pas l'économie ; la frustration constante de Biden est que les économistes ne comprennent pas la politique ». L'administration Biden ne veut pas répéter ce qui est considéré maintenant comme la plus grande erreur d'Obama, à savoir la timidité de sa réponse à la grande crise financière (GFC) de 2008. A l'époque, Obama cherchant le compromis avec les Républicains, et sans doute gouverné par le modèle de prudence budgétaire en vigueur à ce moment-là, avait lancé un plan de relance de 800 Millions de dollars, reposant pour beaucoup sur les baisses d'impôt. Le plan fut voté, mais sans aucun soutien des Républicains ; de surcroît, les ménages, mécontents des conséquences économiques négatives de la GFC, sanctionnèrent lourdement les Démocrates aux élections de mi-mandat de 2010. Ceux-ci perdirent la majorité à la Chambre des Représentants. C'en fut fini de l'agenda démocrate ; l'administration Obama perdit sur tous les tableaux et ne put passer ensuite aucune réforme d'envergure. Il est évident que Biden ne veut pas commettre les mêmes erreurs. Pour lui, il faut montrer aux ménages des résultats concrets, rapides et forts. Et tant pis pour l'orthodoxie économique ! Vous pouvez être le meilleur économiste du monde, si vous ne pouvez pas appliquer votre programme, cela ne sert à rien. 
Enfin, Biden rompt définitivement avec le consensus de Washington en proposant des hausses d'impôt sur les sociétés (IS). Il met fin à un mouvement amorcé depuis Reagan, poursuivi depuis, et imité dans la plupart des pays occidentaux. La baisse de l'IS est sans conteste un des facteurs qui a contribué à la déformation du partage de la valeur ajouté en faveur du capital, au détriment des salaires. On peut argumenter sur la pertinence économique de cet argument ; le fait est qu'il est aujourd'hui politiquement inaudible. Si Trump avait su mettre en œuvre une politique économique un peu plus en cohérence avec son discours « anti-élites, anti-Washington », il n'aurait peut-être pas eu besoin de lancer ses troupes à l'assaut du Capitole pour rester à la Maison-Blanche. 
A court terme, la politique de l'administration Biden fait les affaires de la bourse. Le méga plan de relance a dopé les anticipations de reflation, non seulement de l'économie américaine mais aussi de l'économie mondiale. Les grands indices occidentaux sont en hausse de 9% à 12% depuis le début de l'année. Le S&P 500 est à son plus haut historique et le CAC n'est pas loin de retrouver les sommets de 2008. A moyen terme, les effets sont plus ambigus. De nombreuses analyses mettent en avant le risque de hausse des taux. C'est un risque, mais finalement, qui peut bénéficier aux épargnants. En France, l'essentiel de l'épargne financière est placé sur des livrets ou sur des fonds euros d'assurance vie qui rapportent - au mieux - un peu plus que 1,0%. Pour toute cette épargne, une hausse des taux réels serait la bienvenue. 
Nous sortons d'une période de 30 ans de baisse de taux et de rendement boursiers exceptionnel, particulièrement aux États-Unis. Le S&P 500 a progressé de 2100% depuis le 31 décembre 1989 (dividendes réinvestis), soit un rendement actuariel annualisé moyen de 10% ! C'est colossal. Une telle performance sera difficile à réitérer. Il est difficile d'avancer que la hausse des taux d'IS qui s'annonce est favorable à l'actionnaire. Mais l'actionnaire a besoin de stabilité politique et économique, ce qui devenait de plus en plus difficile dans le paradigme jusqu'ici en vigueur. « Il faut tout changer pour que tout demeure ». Cet aphorisme est toujours d'actualité. 

*L'ère de « l'ère de l'état tout-puissant est terminé » est terminé

 


Hugues de Montvalon
Gérant de portefeuille
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 9 avril 2021

 

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