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Patrimoine 01/06/2021

Don manuel et révélation : attention aux embûches fiscales

Si la donation authentique, c'est-à-dire réalisée devant notaire, est aujourd'hui la forme de loin la plus utilisée par une personne qui souhaite en gratifier une autre, le don manuel n'en reste pas moins un procédé simple, rapide et pratique que beaucoup privilégient…à tel point que certains transferts de biens entre personnes recèlent un don qui s'ignore, soit par méconnaissance, soit par omission, volontaire ou non. 

Le don manuel n'est donc pas une libéralité comme les autres : il ne respecte pas les conditions de forme édictées par l'article 931 du Code civil qui imposent un acte notarié. Il a un formalisme qui lui est propre : le donateur remet la chose « de la main à la main » au donataire, remise que l'on appelle « tradition ». Le don manuel ne peut porter que sur certains types de biens, ceux qui sont précisément susceptibles de faire l'objet d'une tradition, à savoir les biens corporels (ex : meubles, tableaux…) et certains biens incorporels (ex : titres de société). Il peut même se réaliser par un simple jeu d'écriture (ex : virement, modification du titulaire de titres dans les registres d'une société …).

La dispense du formalisme propre aux donations notariées n'enlève pas au don manuel la qualification de libéralité. Il est donc soumis aux droits de mutation et aux règles civiles et fiscales des libéralités.

Pour autant, et c'est un autre particularisme par rapport aux donations notariées, les dons manuels ne sont pas imposables tant qu'ils n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration fiscale.

En pratique les dons manuels sont sujets aux droits de donation :

  • Lorsqu'ils sont révélés à l'administration fiscale par le donataire ;
  • Lorsqu'ils font l'objet d'une reconnaissance judiciaire ;
  • Lorsqu'ils sont constatés dans un acte soumis à la formalité de l'enregistrement renfermant leur déclaration par le donataire ou ses représentants ;

Dans la plupart des cas, la révélation est matérialisée par le dépôt du formulaire 2735 à l'administration fiscale, auquel cas la date de révélation et la date de déclaration coïncident.

Seule une démarche volontaire du donataire pour révéler un don entraîne sa taxation, cette révélation pouvant d'ailleurs intervenir, le cas échéant, lors d'un contrôle fiscal. Mais la découverte du don par l'administration fiscale ne constitue pas en elle-même une révélation par le donataire.

La tentation est parfois grande de s'abstraire de toute révélation, notamment lorsque le bénéficiaire n'est pas un héritier du donateur, ou d'en retarder la réalisation. Un mauvais calcul qui dans bien des cas peut s'avérer lourd de conséquences : 

1.  Seuls les dons manuels qui sont révélés à l'administration peuvent bénéficier des avantages fiscaux attachés aux donations : application des abattements en fonction du lien de parenté, bénéfice du rappel fiscal de 15 ans, réductions de droits pour certaines donations d'entreprise…etc. Or, nul n'est à l'abri d'un contrôle personnel et de l'examen de son train de vie, de ses achats et de ses opérations bancaires, qui peut révéler l'existence d'un don manuel. 

2.  Les dons manuels qui n'ont pas été révélés sont imposables à raison du décès du donateur (en vertu de la règle du rappel à la succession des donations antérieures) et sont soumis aux droits de succession. Si cette règle peut, et c'est un paradoxe, s'avérer favorable en cas de don à un époux ou partenaire d'un Pacs (les successions entre époux et partenaires sont exonérées alors que les donations entre ces mêmes personnes sont imposées), dans la plupart des cas elle s'avère pénalisante (ex : l'abattement applicable aux successions entre grands-parents et petits-enfants s'élève à 1.594 €, alors qu'il s'élève à 31.865 € en cas de donation).

3. La valeur imposable des biens donnés à prendre en compte pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit est la valeur du don au jour de sa révélation à l'administration fiscale ou au jour de la réalisation du don si cette valeur est supérieure (article 757 du Code général des impôts). Entre le moment de réalisation du don et sa révélation, la valeur du bien peut avoir considérablement augmenté. C'est ce qui s'est produit dans le cas d'espèce suivant  ayant donné lieu à un contrôle de l'administration fiscale puis à un contentieux, et, fait marquant, à une question prioritaire de constitutionalité.

Dans cette affaire, un artiste-peintre, décédé en 2005, avait offert deux tableaux à une personne, l'un en 1994, l'autre en 2000. Alors que le prix des œuvres avait flambé, l'heureux bénéficiaire a vendu les tableaux en 2013.  Il avait alors souscrit une déclaration d'option pour le régime général de taxation des plus-values sur biens meubles (afin de bénéficier des abattements pour durée de détention), en lieu et place de la taxe forfaitaire sur les cessions d'objets précieux.  A l'occasion d'un contrôle de sa déclaration, l'administration fiscale, considérant que la remise des tableaux constituait un don, l'a invité à en faire la révélation et à déposer une déclaration, ce qu'il a fait. Contestant la valeur alors retenue dans la déclaration, l'administration lui a adressé une proposition de rectification, en appliquant la règle énoncée ci-dessus, à savoir en retenant la valeur des tableaux au jour de la révélation et non au jour du don (la première s'avérant plus élevée que la seconde). Ce qui nous inspire ce nouvel adage : « bien tardivement enregistré ne profite jamais » !

Un contentieux s'en est suivi, les juges du fond donnant raison à l'administration en ce qu'elle s'est légitimement fondée sur la règle prévue à l'article 757 du Code général des impôts. Le requérant a alors demandé à la Cour de cassation de faire constater que l'article 757, en prévoyant que l'assiette de l'imposition est égale à la plus élevée des deux valeurs, celle du bien lors du don ou lors de sa révélation, est contraire aux articles 6, 13 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 « car portant atteinte tant au principe de l'égalité des contribuables devant la loi qu'à celui de la sécurité juridique qu'elle doit leur garantir ». Dans sa décision du 12 mai 2021 (Cass. Com. 12 mai 2021, n° 542 F-D), la Haute Cour a considéré que sa question présentait un caractère sérieux et a donc renvoyé au Conseil Constitutionnel une Question Prioritaire de Constitutionnalité portant sur l'assiette de l'imposition des dons manuels.

D'un point de vue objectif, la différence de traitement entre les donations authentiques, imposées pour leur valeur au jour de leur réalisation, et les dons manuels, qui sont taxés sur la valeur la plus élevée entre celle constatée au jour de leur révélation et celle constatée au jour de la transmission des biens, ne semble guère justifiée. Elle l'est d'autant moins lorsque la révélation du don est réalisée spontanément par le donateur, fut-ce à l'occasion d'une vérification fiscale. Il n'y a pas, à proprement parler, de volonté d'évasion fiscale caractérisée. Et imposer une donation sur sa valeur au moment de la révélation et non au moment de sa réalisation, qui devrait constituer le seul fait générateur, semble caractériser une différence de traitement critiquable entre don manuel et donation authentique, ayant potentiellement pour effet d'imposer un bien sur une valeur supérieure à celle de son entrée dans le patrimoine du donataire, de nature à altérer les facultés contributives de ce dernier.

Une censure par le Conseil Constitutionnel, sur laquelle nous ne pouvons pas spéculer à l'heure actuelle, serait bienvenue et contribuerait à conférer davantage de sécurité juridique au don manuel.

Reste que cette technique du don manuel, procédé rapide, simple et parfois économique pour transmettre certains biens, et donc séduisant de prime à bord, doit être appréhendée avec précaution et circonspection, car si toutes ses conséquences juridiques, fiscales et familiales ne sont pas étudiées et appréhendées, le cadeau peut bien se révéler empoisonné.

 


David Tavernier
Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 1er juin 2021